D’America à Vincennes : fête du livre, des cultures et arts

Publié le par Firmin Luemba

Reportage exclusif

L’Amérique à Vincennes fête le livre, les cultures et les arts

 

Belle réussite que celle de 2008 pour le festival America ! Un salon autour de la littérature, chaque auteur étant fêté, et le public, plus proche, impliqué à la vie du livre*. Les Vincennois y mettent de la volonté et, les résultats satisfaisants. Parcours d’un salon littéraire avec un but : dialogue des cultures.

 



C’est dans une ambiance d’incertitudes bancaires et financières que des auteurs, Américains en général, franchissent l’Atlantique pour communier avec le public français, féru de littérature étrangère. Durant les 3 jours de festival America à Vincennes (25, 26, 27 Septembre), ces « bonhommes » étrangers et leurs publics ont l’esprit à la fête, si bien que l’on peut d’ailleurs gommer de l’actualité le krach financier touchant…des magnats ; ceux de l’édition compris ? Le  Dow Jones ou le CAC 40 en chute libre, ça n’est que pure fiction, objet romanesque à Vincennes. Ici à Vincennes donc, les romans, quant à eux, étalés, ne parlent pas (encore) de finance.

(En attendant un nombre important d’ouvrages annoncés depuis le pays de l’Oncle Sam, et inspirés par la tempête financière.)

Le public ne se fait pas prier pour mettre la main à la poche. Dans différents stands d’éditeurs ou libraires, les romanciers proposent qui le sujet des mésaventures personnelles ou collectives, qui le mal-être, qui d’autres divers maux qui minent l’Amérique, les Amériques, d’hier à aujourd’hui.

 

Tapis rouge pour les Indiens

 

Dans une voie piétonnière menant de la mairie de Vincennes à l’auditorium de la bibliothèque municipale dite Cœur de Ville, un tapis rouge déroulé, accueillant des personnages historiques, merveilleux, magiques, invisibles aux yeux du commun des mortels… Il suffit pourtant de diriger son œil en direction des panneaux encadrant leur passage illuminé par des tapis rutilants,  - et qui ne semblent pas de notre temps, - afin de les apercevoir, eux, passés à la postérité : des maîtres incontestés de cette terre d’America; eux que nous oublions, perdons si souvent de vue, ces Indiens, des Amérindiens. America, leur « œuvre », leur terre, restituée ici par l’imposante exposition des photographies et textes de Vincent Bourdon, intitulée Sur la terre des (Indiens) Blackfeet (pieds noirs).

 

Inspiré, ce parcours donc rétabli : San Francisco, Browning (Montana), Chicago, New York, Miami, Calgary (Canada). Et de voir ressusciter quelques notables auteurs pour en parler mieux que quiconque :

Pat Provost : « En arrivant dans notre pays, les blancs ont pensé qu’ils arrivaient sur un territoire vierge. »

Joe Kipp : « Si l’on peut protéger notre terre, nous survivrons. Si nous ne la respectons pas, nous cesserons d’exister en tant que Blackfeet. Nous serons alors des hommes blancs à la peau brune. »

Georges Kipp : « Cette terre, on ne nous l’a pas donnée, elle nous appartient. Notre peuple a presque été exterminé pour elle. Ce sol est trempé de notre sang, de notre sueur, et de nos larmes. »

James Welch : «  C’est difficile aujourd’hui de se rappeler que ces gens, mon peuple, ne vivaient pas seulement sur la terre, mais avec la terre, en communion avec le ciel, les arbres, les montagnes, et les plaines. »

William Old Chief : « Aujourd’hui, pour survivre en tant que peuple, il nous faut prendre le meilleur des deux mondes dans lesquels nous vivons. »

 

Vincennes l’Américaine

 

Aux côtés de leurs estimables pairs, d’autres grands noms de la littérature américaine convoqués de leur sépulture pour renommer dignement des lieux de la ville, arborant de la sorte des panneaux de circonstance, aux couleurs du festival - rouge vif, jaune, bleu, noir, orangé, blanc -, menant de rue en rues, de salle en salles. L’auditorium Jean-Pierre Miquel, de Cœur de ville, se rebaptise en amphithéâtre d’Ernest Hemingway ; la salle des fêtes de la mairie devient William Faulkner ; le centre culturel Georges Pompidou s’américanise en John Steinbeck ; le théâtre Daniel Sorano joue avec le nom de F. Scott Fitzgerald. L’appellation d’Octavio Paz épouse la salle des mariages ; à la cour Marigny, un cadre bien nommé Magic Mirrors se voit en Espace Truman Capote.

 

Des moments propices pour ces différents auteurs de dialoguer par leurs histoires, leurs ouvrages, auprès d’un public complice. Et parfois critique. La tranquillité de cette ville à deux pas de Paris la capitale témoigne aussi de ses habitudes: « C’est une ville de bourgeois ! », lance B., habitant et étudiant en arts appliqués, dont la mère sert comme bénévole à l’événement. Rue de Fontenay, attenante à la mairie, certains habitués des lieux pour distiller quelques indiscrétions aux visiteurs demandant leur chemin. Cette artère, apprend-on, un lieu de rencontres à Vincennes, à la tombée de la nuit, pour les abonnés aux mœurs légères.

 

Café littéraire pour les Amériques

 

Parce que l’America est une terre des migrations et d’aventure humaine, des auteurs contemporains sont invités, et donc triés sur un assez large éventail. Ce qui prend en compte tour à tour la diversité de leurs nationalités, leurs attaches géographiques, leurs tendances linguistiques, en somme, la multiculturalité d’un continent éclaté en mille morceaux, toutefois réunis toujours par une même histoire séculaire. Difficile dans ces conditions de faire l’impasse sur l’Afrique, berceau d’un certain nombre de phénomènes historiques, transcontinentaux, et bien souvent dramatiques. Certains, parmi ses écrivains, ayant élu domicile en America suite à des circonstances natales, familiales, professionnelles, ou d’autres encore. Leur double regard d’africain et d’américain nourrit leurs créations littéraires, enrichissantes d’un certain point de vue.

 

D’origine nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie en est à son second roman : L’autre moitié du soleil. Qui relate son pays des années soixante, la fête d’indépendance, puis la guerre du Biafra. Autre Nigérian ayant développé la même thématique guerrière : Uzodinma Iweala et ses Bêtes sans patries mettant l’accent sur les enfants-soldats, fléau africain. Ishmael Beah, lui, rescapé dudit fléau dans son Sierra Léone natal, avant d’avoir publié son récit aux éditions Presse de la Cité. Quant à Dinaw Mengestu, son Prix du premier roman décroché à l’automne 2007 chez Albin Michel, il le doit à Les belles choses que porte le ciel, de l’Ethiopie vers l’Amérique, encore l’immigration.

 

Ils sont aussi de Colombie, de Cuba, de Honduras, du Liban, des Antilles, de Corée, de l’Inde, de l’Iran, de la Russie, ainsi que d’ailleurs, sont-ils devenus américains, ayant choisi de vivre aux Etats-Unis, au Canada. Les uns et les autres, leur café exhale des parfums littéraires du déracinement. Celui du Colombien James Canyon, lauréat du prix des lecteurs de Vincennes, Dans la ville des veuves intrépides, conte romanesque sur des crimes perpétrés chez lui. Comme Rawi Hage, récompensé en juin dernier par le très enviable prix Impac, en Irlande, pour son premier roman De Niro’s Game, sur la guerre civile au Liban. Comme Nami Mun, d’origine sud-coréenne, qui publie Miles from nowhere, chez Stock. L’Indien installé au Canada, Anosh Irani propose lui un second roman, Le chant de la cité sans tristesse. Horacio Castellanos Moya, lui étant de Honduras, publie chez Les Allusifs, Là où vous ne serez pas.

 

D’autres sont restés chez eux : Wendy Guerra, jeune femme de 37 ans qui en fait 15, mais en a vu d’autres dans son pays sous Fidel Castro, son premier livre y ayant subi la censure. Bien que vivant actuellement à La Havane, le titre peut inviter aussi à s’exiler: Tout le monde s’en va. Lyonel Trouillot, du Haïti, convié pour L’amour avant que j’oublie. Du même pays, Jean-Claude Fignolé, avec Une heure pour l’éternité, édité par Sabine Wespieser. Quant à Martin Bérubé (Pourvu que ça fonde au printemps, éditions Michel de Maule), Simon Girard (Dawson kid, Le Boréal) et Véronique Papineau (Petites histoires avec un chat dedans (sauf une), trois auteurs québécois et qui reflètent la bonne humeur du pays.

 

Stand up on the stands

 

Personne ne révèle son chiffre d’affaires lors de ce salon, ni les libraires, et moins encore des éditeurs. Mais à Vincennes tout a l’air bien beau, rentable. Evocateur, le Village Voice, la seule librairie proposant sur place des ouvrages seulement en anglais. Comme elle est prise d’assaut, même Abha Dawesar, cette indienne de New York, signée chez Héloïse d’Ormesson pour Dernier été à Paris, ne peut résister à son tour d’y aller faire un achat. S’absentant du coup un moment de son « trône » pour les signatures. Bons chiffres également aux éditions de l’Olivier qui compte dans son stand, notamment, Richard Ford. Ce lauréat du prix Pulitzer en 1996, s’exprimant un moment dans la langue de Molière. L’état des lieux, son œuvre, rameutant une foule pour d’interminables dédicaces. De son côté, Seth Greenland, traduit de l’américain par Jean Esch, pour Un Patron modèle, son deuxième roman, dont les droits cinématographiques - comme le premier d’ailleurs, - sont d’ores et déjà achetés.

 

La douce Iranienne Dalia Sofer, elle, signe Septembre à Shiraz, chez JC Lattès. L’écrivaine a à ses côtés un bon défenseur des auteurs et des livres, en tout bon libraire. Venue tout droit de Laval, la librairie M’lire partage le même espace que l’éditeur précité et trouve donc « très beau » l’œuvre de Dalia. Tandis qu’elle même semble plus craindre « la revue littéraire » plutôt que les résultats de vente de ses bouquins. De sa nationalité américaine, elle dit « oui, par défaut ». L’exil à New York dès l’âge de 10 ans lui aurait certes procuré cette liberté et cette joie d’écrire, le pays de ses parents semble encore lui manquer.

 

America ! Les uns s’y rendent, les autres préfèrent la quitter et vivre loin d’elle. Melanie Wallace, « la mère » de Sauvages, en 2007, ou récemment La Vigilante paru en mars 2008 chez Grasset. Née à New Hampshire, ayant vécu à New York et Paris, elle a finalement opté pour le sud de la Grèce, une petite campagne, sans commerce dans les environs, là où, à 60 ans, s’amuse-t-elle à révéler qu’elle est la plus jeune des habitant-e-s dont la moyenne d'âge se situe à 80 ans. Quant à Jocelyn la Sino-Américaine de New York City et ses Discordances, paru chez Phébus, reste-t-elle attentive à la prononciation de son patronyme, Lieu : « En chinois, il faut dire Liû », corrige-t-elle en anglais, tout sourire. L’Africain-Américain Percival Everett, toujours occupé entre deux débats autour de son roman de 2007 publié par Actes Sud, Blessés.

   

Encore un Noir-Américain très content, Eddy L. Harris. S’exprimant librement :

« J’ai vendu beaucoup de livres ! » Si son prochain bouquin est en phase terminale, le dernier qu’il a publié l’avait été en 2005. Le père de Jupiter et Moi sait accrocher, même les professionnels. Par ici, une bibliothécaire qui lui réclame la version française - ce qui n’existe pas à ce jour - de son premier roman, Mississipi Solo. Eddy L. Harris qui anime par ailleurs une résidence d’écriture appelée à se poursuivre jusqu’au 31 octobre prochain à Vincennes, témoigne de sa joie du fait que des collégiens de la ville aient adapté en pièce de théâtre l’un de ses ouvrages.

 

Mes frères de sang. Histoire de l’expatriation en Argentine d’un jeune étudiant américain, revenu par la suite dans son pays, où l’attend une nouvelle tragique, en provenance de Buenos aires. L'auteur Douglas Unger est prof d’anglais, et finaliste en 1985 du prix Pulitzer. 
 

Nuit américaine

 

Le samedi 27 septembre, particulièrement, la « nuit américaine », cette soirée de 20 à 22 heures qui convie les auteurs à se retrouver tous simultanément dans les stands respectifs de leurs éditeurs, en vue de signatures. Cela permet aussi de pouvoir « mettre la main » sur quelques éditeurs. Entre autres, Liana Levi, Olivier Cohen des éditions de l’Olivier, Emmanuelle Collas des éditions Galaade, ou encore Brigitte Bouchard, des éditions Les Allusifs. (Alors qu’il est bien plus rare de les retrouver, à fortiori au même moment, dans d’autres événements du même genre.) Entre débats, projections, concerts et séances photos, Vincennes contemple ses auteurs se prêter aussi au jeu de la lecture en public dans un lieu magique...

 

Magic Mirrors…

 

En fin d’après-midi, Magic Mirrors finit à peine de faire résonner les mots lus par des écrivains qu’un autre spectacle prend le relais. La musique de Ian Kent et son groupe, The Immigrants. Créé après s’être installé en France en 1992, en provenance de son Amérique, Ian en a gardé le sens musical, désirant mêler tous les genres de son pays, pour aboutir à ce qu’il qualifie d’american roots (racines américaines). De la France, Ian Kent apprend la langue française qu’il parle d’ailleurs couramment avec un accent…frenchy. Bel échange culturel, ici à Vincennes, des bénévoles français-es étant en mesure d’interpréter l’une ou l’autre langues des auteurs conviés.

 

…Music & kitchen

 

Etant anglophones, d’autres musiciens font aussi l’événement. Ce sont les Boys, groupe musical issu des Amérindiens, premiers bâtisseurs et peuples d’Amérique dont ils ont conservé le mode musical. En seulement deux voyelles répétitives, - aaah, eeeh -, les 8 artistes parviennent à créer des mélodies, des harmonies vocales, sur fond de percussion locale. Quel que soit le morceau, plus calme ou plus énergique, et leur expression de visages, concentrée ou plutôt animée, cette exécution crée une ambiance incantatoire… Aux aïeuls ? Dans le Magic Mirrors, les scènes renvoient au public ces deux Amériques, précolombienne et postcolombienne. « Heureux de réunir en France ces différents éléments de l’Amérique, s’exclame même le président du festival, souhaitant la même chose outre-atlantique, « et sans vouloir donner des leçons à quiconque », précise-t-il.

 

La 4ème édition d’America pourrait à l’avenir amener les Boys à s’exporter sur disque. L’avaient été déjà par le passé d’autres rythmes comme « le country, le folk, le rock, le blues, introduits en France par le label Fargo », à en croire un représentant au salon. Cette jeune maison des disques qui offre d’ailleurs aux publics une pochette vide d’un cd collectif.  Quelque 10 chansons étant à télécharger gratuitement sur le site internet. **

 

Le Salon America, fort d’une centaine de bénévoles, l’un des responsables se réjouit du fait qu’il ait pu afficher en cette édition des chiffres encourageants, en parallèle d’une audience publique et médiatique croissante. De quoi gratifier leurs illustres invités d’une dernière french touch, justement en matière culinaire. L’Hexagone y faisant même bonne figure dans le concert des nations, de l’avis général. Entre le pain, le vin, le fromage, d’autre nourriture, et quelques bavardages ou danses autour, ces invités donc ravis, à l’instar de Brian Evenson, essayant d’ailleurs quelques mots en français, cet auteur de La Confrérie des mutilés. Vincennes, enfin, avait tout pour écrire son livre...

Et que vive le festival du livre, pour conclure par monsieur le maire !

 


* Ces différents ouvrages étant traduits.

**  www.believe.fr/fargoallstars

 

Mailing : firminvestir@yahoo.fr

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article